Je partage ici, une petite pépite historique de 135 ans qui a traversé les âges pour venir rejoindre ma petite collection de curiosités: Un exemplaire du supplément littéraire du Journal Le Figaro, daté du Samedi 26 septembre 1885, qui utilise la graphologie comme une arme redoutable…
L’intérêt est davantage socio-historique que graphologique. Si l’on avait bien identifié que chaque écriture révélait des caractéristiques personnelles, la discipline n’était qu’à ses débuts – davantage à la mode dans les salons mondains – et pas encore étayée par les nombreux travaux de psychologie du XXème siècle. Jules Crépieux-Jamin découvrait à peine la discipline et n’avait pas encore assis les grands principes de la graphologie moderne.
Pourtant, à l’occasion des élections législatives de 1885 (4 et 18 octobre), le Figaro a fait le choix original de publier un numéro spécial consacré aux principaux candidats en présentant leur signature et un « croquis » de leur personnalité, établi à partir de leurs écrits.
Nous sommes sous la 3ème république, sous la présidence de Jules Grévy.
C’est au Dr Poggi – « graphologue distingué » – que fut confié la mission d’analyser les lettres et signatures de pas moins d’une soixantaine de candidats ! Parmi eux, Jules Ferry, Georges Clémenceau, Paul Bert, Charles de Freycinet, Albert de Mun, Le Baron Haussmann, Louis Greppo, Henri Brisson, Benjamin Raspail, Emile Ollivier, Joachim Murat, Daniel Wilson, Mgr Freppel…
En préambule de sa triple page, le Figaro décrit la discipline comme une « science positive » avant d’en expliquer le principe et de conclure: « Celui qui écrit 4 lignes, peut ne pas être pendable, mais il livre, sans le savoir et sans le vouloir, au graphologue, l’autobiographie la plus sincère, la plus complète qu’il écrira jamais. »
S’ensuivent des petits portraits de chacun des candidats passés au crible.
Si les formulations et commentaires paraissent d’un autre temps et peuvent parfois prêter à sourire, elles révèlent aussi un parti pris évident à l’égard de certains candidats…
Mais de qui ? Du graphologue ou du journaliste ?
Difficile de distinguer ce qui relève réellement de l’analyse du graphologue ou de l’appropriation du journaliste « rapporteur ».
Le compte rendu graphologique semble n’être qu’un prétexte pour commenter et interpréter selon une ligne éditoriale plutôt conservatrice dans laquelle une certaine bourgeoisie et aristocratie se reconnaissent.
Ainsi on ne s’étonne pas de lire les éloges faites à Albert de Broglie (Duc et Orléaniste) et de conclure qu’il « serait digne d’ajouter à son titre d’académicien celui de député ».
Faut-il ainsi s’attarder sur la liste des qualités du Baron Haussmann (Bonapartiste) et du Comte Albert de Mun (Légitimiste)? Puisque c’est la graphologie qui le dit…
En revanche, on peine à trouver tant de grâces aux républicains radicaux (extrême gauche). Tiens, tiens…
De l’analyse du Dr Poggi, le journaliste résume que Georges Clémenceau est sans l’ombre d’un doute le « Machiavel de l’extrême gauche ».
Sur Paul Bert, on conclue : « A part la simplicité de goûts, les facultés morales sont presque absentes… Il faut avoir peur d’un tel homme ». Voilà une position aussi radicale que celui qu’elle concerne!
Pour Henri Maret, le libertaire… le portrait est très acide ! A vous de juger…
L’article concède quand même quelques qualités (même si on s’en s’étonne) aux Républicains Opportunistes.
Oui, Jules Ferry a bien quelques vertus, mais…. on ne manque pas de souligner aussi «un signe indéniable de dissimulation et de mensonge poussés à l’excès », concluant évidemment la juste révélation de l’écriture !
Si Paul Strauss est plutôt épargné, Spuller n’aura pas autant d’égards, on résume sa personne à « la mollesse, l’apathie et la gêne native des vulgaires ».
L’analyse du graphologue décontextualisée, remaniée ou utilisée partiellement est habilement utilisée pour servir les opinions du rédacteur. Heureusement, cette pratique est aujourd’hui dépassée… (ou presque) !
L’Histoire ne dit pas si les « croquis graphologiques » du Dr Poggi ont éclairé les lecteurs du Figaro. Toujours est-il que les « Républicains opportunistes » (modérés), menés par Charles de Freycinet, remporteront l’élection avec 34,2% des voix et 200 sièges.
Il ne s’agit nullement de faire un procès d’intention mais de garder à l’esprit que les quelques croquis présentés ici, parfois vitriolés, sont évidemment à prendre avec des pincettes, voire avec une certaine distance et une bonne dose d’humour… 😉
Pour en savoir plus sur la discipline aujourd’hui, c’est ici